vendredi 9 décembre 2016

Orion


A Pivoine



Avec mes dents
J'ai pris la vie
Sur le couteau de ma jeunesse.
Avec mes lèvres aujourd'hui,
Avec mes lèvres seulement...

Courte parvenue, 
La fleur des talus, 
Le dard d'Orion, 
Est réapparu.

René Char

mardi 6 décembre 2016

Venus du berger



L'heure du berger

La lune est rouge au brumeux horizon ;
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S'endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts où circule un frisson ;

Les fleurs des eaux referment leurs corolles ;
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrés, leurs spectres incertains ;
Vers les buissons errent les lucioles ;

Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit
Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit.

Paul Verlaine

dimanche 30 octobre 2016

Fière et debout




« La plupart des gens ont une vision conventionnelle de la vie,  il faut avoir le courage de se détacher de tout, de toutes normes, il faut oser faire le grand bond dans le cosmos : alors la vie devient infiniment riche, elle déborde de dons, même au fond de la détresse. »
Etty Hillesum

mercredi 19 octobre 2016

Papiers-bateaux


Pour Anne **







« Elle flotte, elle hésite, en un mot elle est femme »
Racine.



Je t'ai vue, Célestine, monter dans la barque. Vision un peu étrange que cette barque posée sur les eaux Vertes du lac du même nom, enchâssé à 1800 mètres d'altitude. Tu étais assez légèrement vêtue pour une nuit d'automne, éclairée par la lune. Tu t'es assise dans la barque, posant sur tes genoux une épaisse liasse de papiers. Tu as pris les feuillets, un par un : déclaration, questionnaire, attestation, formulaire, assurance, imposition, état-civil, remboursement et refus de remboursement, et justificatifs pour chacun des feuillets. Ton geste était gracieux et assuré : transformer chaque papier, par un savant pliage que nul n'a oublié quand il l'a transmis à des générations d'enfants, en un joli bateau, léger comme le vent, coloré par les en-têtes administratives devenues des noms poétiques pour chaque petit navire. Le fond de la barque s'est rempli des papiers pliés, alors que la liasse sur tes genoux a disparu. Tu t'es levée, a pris délicatement chaque petit bateau fragile et plus du tout menaçant, les as posés un par un à la surface de l'eau tout autour de toi.
Un vent léger s'est levé, conduisant vers l'autre rive cette flottille improbable, éclairée par la lune. J'ai alors distinctement entendu cette voix, réfléchie par la montagne : "Allez, on y arrivera bien".
Et tu as souri. Anne **

dimanche 5 juin 2016

Nuit des vents du sud








Moi je marche aux côtés de la nuit tendre qui descend,
J'appelle la terre, j'appelle la mer à demi noires.
Vient plus près nuit aux seins nus, plus près magnétique nuit nourricière !
Nuit des vents du sud, nuit des rares grandes étoiles !
Nuit dodelinante, folle nuit d'été nue...

Walt Whitman

dimanche 1 mai 2016

Au bord du monde

,




Elle danse sur son fil, elle danse jusqu'à s'étourdir, se jouant des remous de la vase, des cloportes visqueux qui grouillent en contrebas. Elle n'ignore rien de la fange qui englue le monde quand il est sans amour. Faut pas la prendre pour un canard sauvage. Mais elle préfère regarder vers le haut.
Elle danse en riant, sur ce fil dérisoire qui peut se rompre à chaque instant...
Elle est souvent trop sensible, alors,
elle a appris, peu à peu,  à garder les faiblesses de son cœur pour les êtres qu'elle aime,
et à se protéger des jaloux, des envieux, des baveux, des serpents qui sifflent sur sa tête,  en dissipant leur haleine fétide d'un coup d'éventail. 
L'écran de fumée de leur noirceur d'âme ressemble à une brume de marécage qui s'évanouit aux premiers  rayons du soleil,  comme les vampires devant les gousses d'ail. 

À Chinou

vendredi 1 avril 2016

Fille d'avril



C'est une fille d'avril
Pauvre de moi
Une fille difficile
Elle ne veut pas
Découvrir d'un fil
Tout ce qu'elle a
Ni son coeur, ni son corps
C'est comme ça

Laurent Voulzy

mardi 15 mars 2016

Lune distraite


La lune de ses mains distraites
A laissé choir, du haut de l’air,
Son grand éventail à paillettes
Sur le bleu tapis de la mer.

Pour le ravoir elle se penche
Et tend son beau bras argenté ;
Mais l’éventail fuit sa main blanche,
Par le flot qui passe emporté.

Au gouffre amer pour te le rendre,
Lune, j’irais bien me jeter,
Si tu voulais du ciel descendre,
Au ciel si je pouvais monter !

Théophile Gautier

mercredi 20 janvier 2016

Au nom de la rose



[...]J'ai dans les mains autant de lignes
Que de destins qui me font signe.
Une vie qui file entre mes doigts
Que je ne rattraperai pas.

J'ai sous ma peau autant de tares
Que de délices dans ma mémoire.
Des bouts de moi dont je suis fière
Et d'autres qui restent un mystère.[...]

Rose. «J'ai»